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lieu à erreur, si nous n’y prenons garde, mais dont on ne saurait demander pour cela qu’ils ne se produisent point, puisqu’ils sont des effets de lois naturelles. Les erreurs des sens, pierre d’achoppement tout à l’heure, et encore maintenant objet de scandale, qui semblent accuser Dieu de tromperie ou de mensonge, se trouvent expliquées par là ; et la véracité divine n’a plus besoin de justification.

Nous avons donc comme deux points de vue sur les choses, et la grande affaire est de ne pas les confondre : le point de vue de l’esprit pur d’abord, ou de la pensée, qui est celui des philosophes et des savants, et d’où l’on découvre peu à peu les rouages et les ressorts du mécanisme universel. Puis nous avons encore un autre point de vue, celui de la vie, ou de l’être vivant qu’est l’homme avec ses sensations et ses passions, l’homme complet, âme et corps tout ensemble. A ce monde des sens Descartes ne demande qu’une chose, de ne pas empiéter sur l’autre, qui est le monde intelligible, et de n’y pas introduire ses préjugés ; mais si on le maintient rigoureusement dans les limites et le rôle qu’il lui assigne, et qui est de pourvoir aux besoins de la vie, on ne saurait en méconnaître la parfaite légitimité.

Telle est, autant qu’on peut la reconstruire à l’aide des publications de 1637 et de 1641, la métaphysique de Descartes à la date de 1629. On serait tenté aujourd’hui de la trouver un peu réduite ; elle l’est, en effet, au minimum indispensable. Le philosophe ne s’attarde pas à spéculer longuement sur les principes de l’être et du connaître, et n’étale pas non plus un luxe de preuves en faveur de l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’âme. De telles préoccupations pouvaient dominer chez un religieux comme le P. Mersenne, ou chez l’auteur d’une philosophie chrétienne comme Silhon, dans son livre sur Les deux Vérités. Celui-ci avoue que l’immortalité de l’âme offre encore plus d’intérêt pour lui, que l’existence de Dieu : il cherche, en effet, une règle de la vie présente en vue de la