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nement gâtées ; mais d’autres sans doute se trouvent saines, et il s’agit de les démêler. Les choses sensibles ont des parties obscures, confuses, qui échappent aux prises et au regard de la science ; mais aussi des parties claires et distinctes, qui s’offrent presque d’elles-mêmes à la démonstration. Tout ce qui en elles est étendue, figure, mouvement, tout cela, et cela seul, peut être connu scientifiquement, c’est-à-dire mathématiquement. Car la mathématique est la seule science, et elle est toute la science. Avec son besoin de certitude absolue. Descartes n’en admet pas d’autre ; et d’ailleurs elle suffit, puisqu’elle s’attaque dans les objets à ce qui précisément est l’essentiel, et fait abstraction du reste. Que l’essence des choses matérielles soit en effet ceci, on n’en doit pas douter, à moins de supposer Dieu trompeur. Mais tout l’effort de la métaphysique cartésienne a été dirigé, et efficacement, contre cette outrageante supposition.

Si cependant l’on conserve des doutes, si l’on craint que cette essence des choses matérielles ne nous donne pas encore leur existence, ou la réalité du monde sensible, Descartes nous rassure à cet égard[1]. Outre ce monde géométrique, objet de la science, il y a le monde où nous vivons, nous composés d’une âme et d’un corps, monde lumineux et coloré, qui nous donne des sentiments de chaud et de froid, de pesanteur, d’odeur, de saveur, et de son. Tout cela existe, et a son fondement, non plus, il est vrai dans les choses elles-mêmes, et comme des qualités réelles de ces choses, mais en nous, c’est-à-dire dans cet assemblage que forment par leur union notre âme avec notre corps. Et ces sentiments ont leur office propre qui n’est pas de faire connaître à notre esprit le vrai et le faux, en quoi ils ne pourraient que l’égarer, mais d’indiquer à cet assemblage ce qui lui convient ou ne lui convient pas, ce qui lui est bon ou mauvais, utile ou nuisible ; et tout cela se fait suivant des lois, qui ont pour objet la conservation de la vie, lois dont les effets peuvent dans de certains cas donner

  1. Tome VII, p. 71-90 : Médit. IV.