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la première est de douter. Par une sorte de gageure insensée, tant elle semble paradoxale, ce doute seul suffit à prouver et notre âme et Dieu.

Puis le mathématicien reparaît[1]. Les manuels de philosophie enseignaient que Dieu ne se démontre pas à priori, mais à posteriori seulement : par les effets, et non par la cause. Saint Anselme cependant avait tenté une démonstration à priori, et Mersenne la rapporte tout au long, en 1624, comme la « huitième » preuve de l’existence de Dieu, dans son Impiété des Déistes réfutée et renversée[2]. Descartes la reprend à son

  1. Tome VI, p. 36, l. 4-31.
  2. Tome I, chap. v : Dans lequel le Théologien preuue que Dieu eſt, contre les Athees, & Libertins (p. 72) ; chap. vi : Dans lequel on continue à preuuer que Dieu eſt (p. 96). Et Mersenne donne huit raisons, dont la huitième est prise de saint Anselme : « Acheuons ce diſcours par l’autre raiſon tirée de la ſupréme bonté, en nous adreſſant à elle auec S. Anſelme en ſon Proſologe. »

    « O Seigneur, nous croyons que vous eſtes ſi grand, qu’on ne peut rien penſer de plus grand ny de meilleur. Faudra-il dire que telle nature n’eſt point, parce que le fol a dit en ſon intérieur qu’il n’y auoit point de Dieu ? Certainement lors qu’il eſcoute ce que ie dis, lors qu’il m’entend prononcer & aſſeurer qu’il y a vn eſtre ſi bon qu’on ne ſçauroit en conceuoir vn meilleur, il entend quelque chose ſi grand qu’il ne peut y auoir rien de plus grand : or ce qu’il conçoit, eſt en ſon entendement, bien qu’il n’entende pas que cela ſoit reellement & de fait ; car c’eſt autre choſe, qu’on ait cela en l’intellect, & autre choſe, qu’il ſoit en eſtre ; & le Peintre penſant à ce qu’il doit faire, ſçait bien mettre difference entre ce qui eſt à faire, & ce qu’il a deſia fait, & cognoiſt que ce qui eſt à faire, n’eſt pas encore fait. »

    « Le ſol eſt donc conuaincu que du moins il a en ſon entendement vne choſe ſi grande, qu’il ne peut y en auoir de plus grande ; car il m’eſcoute & m’entend, & tout ce qu’il entend, eſt en ſon entendement. Or l’eſtre qui eſt le plus grand de tous ceux qu’on peut conceuoir, ne peut eſtre dedans le ſeul entendement ; car s’il eſt dans le ſeul intellect, on peut conceuoir qu’il eſt reellement & en effect : ce qui eſt plus grand que s’il eſtoit dans le ſeul entendement. D’où il s’enſuit que, ſi cet eſtre par deſſus lequel on n’en peut conceuoir vn plus grand, eſt dans le ſeul entendement, cela meſme qui eſt le meilleur & le plus grand de tout ce qu’on peut conceuoir, fera l’eſtre au delà duquel on en pourra conceuoir vn plus grand : ce qui ne ſe peut dire, ny ne peut eſtre. Il faut donc neceſſairement qu’il y ait vne choſe, non ſeulement en l’intellect,