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personnage, et il nous a laissé le récit des entretiens qu’il eut, trois journées de suite, avec le célèbre « philosophe et astrologue », comme il le nomme[1]. On parla naturellement des récentes découvertes dues au télescope, et du télescope lui-même, instrument bien imparfait encore, et dont on aurait voulu corriger les défauts. On parla des taches du Soleil et de la surface « rabouteuse » de la Lune, et de ces planètes

  1. Les Chroniques de Jean Tarde, Chanoine Théologal et Vicaire Général de Sarlat, avec introduction de Gabriel Tarde. (Paris, Oudin et Picard, 1887.) Les trois entretiens eurent lieu le mercredi 12, jeudi 13 et samedi 15 novembre 1614. « Le mardy xi, jour de ſaint Martin, ſommes arrivés à Florence. Le mercredi au matin, je vis le ſeigneur Galileus Galilei, philoſophe & aſtrologue très fameux… Je lui repreſentay que ſa reputation avoit paſſé les Alpes, traverſé la France & eſtoit parvenue juſques à la mer Oceane. Que à Bordeaux nous avions vu ſon Sidereus Nuntius qui nous avoit apporté la nouvelle de ces nouveaux cieux & nouvelles planettes… Que, allant à Rome, je n’avois voulu paſſer ſi prés de luy ſans avoir l’honneur de le voir & l’entretenir ſur ces nouveaux phenomenes. » Suit tout au long, p. xxiii-xxiv, le premier entretien que nous résumons, puis le second et le troisième. A noter encore ce passage : « Je l’interpellay ſur les refractions & moyens de former le cryſtal du teleſcope en telle ſorte que les objets s’agrandiſſent & s’approchent à telle proportion qu’on veut. A cela il me reſpondit que ceſte ſcience n’eſtoit pas encore bien cogneue ; qu’il ne ſçavoit pas que perſonne l’eût traictée aultre que ceux qui traictent la perſpective, ſi ce n’eſt Joannes Keplerus, mathematicien de l’Empereur, qui en a faict un livre exprés, mais ſi obſcur qu’il ſemble que l’autheur meſme ne s’eſt pas entendu. De tout ce diſcours je fis profit ſeulement de deux termes qui ſont importants en l’affaire : le premier, que tant plus le criſtal convexe prend une portion d’un plus grand cercle, & le concave d’un plus petit, tant plus on voit loin. L’autre, que le canon du teleſcope pour voir les Eſtoiles n’eſt pas long de plus de deux pieds ; mais pour voir les objets qui nous ſont fort proches & que nous ne pouvons voir à cauſe de leur petiteſſe, il faut que le canon aye deux ou trois braſſes de longueur. Avec ce long canon, il me dict avoir veu des mouches qui paroiſſoient grandes comme un agneau, & avoit apprins qu’elles ſont toutes couvertes de poils & ont des ongles fort pointues, par le moyen deſquelles elles ſe ſouſtiennent & cheminent ſur le verre, quoique pendues à plomb, mettant la pointe de leur ongle dans les pores du verre… » Notons enfin que, au dire de Jean Tarde, les nouveautés astronomiques dont il s’émerveillait, étaient déjà connues en Allemagne et en Italie, des derniers « barbiers ou mitrons ». (Page xxvii.)