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Eudoxe. — Que dirés-vous donc de moy, ſi je vous aſſure que je n'ay plus de paſſion pour apprendre aucune choſe, & que je ſuis auſſy content du peu de connoiſſance que j’ay, comme jamais Diogene le fut 5 de ſon tonneau, ſans que toutes fois j'aye beſoin de ſa philoſophie. Car la ſcience de mes voyſins ne borne pas la mienne, ainſy comme leurs terres font icy tout autour le peu que je poſſede, & mon eſprit, diſpoſant à ſon gré de toutes les verités qu'il rencontre, ne ſonge 10 point qu'il y en ait d'autres à deſcouvrir ; mais il jouiſt du meſme repos que feroit le Roy de quelque pays à part & tellement ſeparé de tous les autres, qu'il ſe ſeroit imaginé qu'au dela de ſes terres il n'y auroit plus rien, que des deſers infertiles & des montagnes 15 inhabitables.

Epistemon. — J'eſtimerois tout autre que vous, qui m'en diroit autant, eſtre bien vain ou bien peu curieux ; mais la retraite que vous avés choiſie en ce lieu ſi ſolitaire, & le peu de ſoin que vous avés d'eſtre 20 connu, vous met à couvert de la vanité ; & le temps que vous avés autrefois employé à voyaſger, à frequenter les ſçavants, & à examiner tout ce qui avoit eſté inventé de plus difficile en chaſque ſcience, nous aſſure que vous ne manques pas de curioſité : de 25 ſorte que je ne ſçaurois dire autre choſe, ſinon que je vous eſtime très content, & que je me perſuade qu'il faut donc que vous ayés une ſcience qui ſoit beaucoup plus parfaite que celle des autres.

Eudoxe. — Je vous remercie de la bonne opinion 30 que vous avés de moy ; mais je ne veus pas tant abuſer de voſtre courtoiſie, que de l'obliger à croire