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» prenoit la Vérité & la Fauſſeté dans les connoiſſances humaines & les ſciences profanes. Voyant que l’application de toutes ces choſes réüſſiſſoit ſi bien à ſon gré, il fut aſſez hardi pour ſe perſuader que c’étoit l’Eſprit de Vérité qui avoit voulu lui ouvrir les tréſors de toutes les ſciences par ce ſonge. Et comme il ne lui reſtoit plus à expliquer que les petits Portraits de taille-douce, qu’il avoit trouvez dans le ſecond livre, il n’en chercha plus l’explication aprés la viſite qu’un Peintre Italien lui rendit dés le lendemain. »

« Ce dernier ſonge, qui n’avoit eu rien que de fort doux & de fort agréable, marquoit l’avenir ſelon lui ; & il n’étoit que pour ce qui devoit luy arriver dans le reſte de ſa vie. Mais il prit les deux précédens pour des avertiſſemens menaçans touchant ſa vie paſſée, qui pouvoit n’avoir pas été auſſi innocente devant Dieu que devant les hommes. Et il crut que c’étoit la raiſon de la terreur & de l’éfroy dont | ces deux ſonges étoient accompagnez. Le melon, dont on vouloit luy faire préſent dans le premier ſonge, ſigniſioit, diſoit-il, les charmes de la ſolitude, mais préſentez par des ſollicitations purement humaines[1]. Le vent qui le pouſſoit vers l’Egliſe du collége, lorſqu’il avoit mal au côté droit, n’étoit autre choſe que le mauvais Génie qui tâchoit de le jetter par force dans un lieu, où ſon deſſein étoit d’aller volontairement. »

  1. Cette interprétation, pour le moins singulière, et dont on ne saurait dire sur quoi elle s’appuie (à moins qu’un melon n’éveille l’idée d’un jardin, et celle-ci l’idée d’une habitation à la campagne, ou à une petite distance d’une ville, comme Descartes les aimera plus tard), ne manqua pas de soulever, dès le xviie siècle, quelques railleries. Voir en particulier, un pamphlet, qui date, il est vrai, de 1693, et n’apporte d’ailleurs aucun document nouveau : Nouveaux Mémoires pour ſervir à l’Hiſtoire du Carteſianiſme. Par Mr. G. de l’A. (Gilles de l’Aunay, c’est-à-dire Huet, évêque d’Avranches.) A Utrecht, chez Guillaume van de Water, 1693. Petit in-12, 102 pp. : « Je ne vois pas bien, lui dit M. Chanut (que l’on suppose s’adresser à Descartes), comment vous pourrez découurir qu’un melon ſignifie la ſolitude. » (Pag. 66.) Et le même auteur fait demander à notre philosophe, toujours par M. Chanut : « Comment il avoit reconnu que toutes ces viſions étoient des révélations du Ciel, & non pas des ſonges ordinaires, excitez peut-être par les fumées du tabac, ou de la biére, ou de la melancholie. « (Pag. 64.) Huet avait d’abord fait malignement remarquer que ces songes arrivèrent « pendant une nuit, qui ſuiuit une ſoirée du jour de Saint-Martin, après avoir un peu plus fumé qu’à l’ordinaire & ayant le cerveau tout en feu. » (Pag. 62.) Pourtant Descartes, et Baillet le remarque aussi, avait pris soin de répondre par avance à ces insinuations. Voir ci-après, p. 186, l. 12-22.