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façon, en apparence, que ceux qui, n’ayant aucun employ qu’a paſſer vne vie douce & innocente, s’eſtudient a ſeparer les plaiſirs des vices, & qui, pour iouir de leur loyſir ſans s’ennuyer, vſent de tous les diuertiſſemens qui ſont honneſtes, ie ne laiſſois pas de pourſuiure en mon deſſein, & de profiter en la connoiſſance de la verité, peuteſtre plus que ſi ie n’euſſe fait que lire des liures, ou frequenter des gens de lettres.

Toutefois ces neuf ans s’eſcoulerent auant que i’euſſe encore pris aucun parti, touchant les difficultés qui ont couſtume d’eſtre diſputées entre les doctes, ny commencé a chercher les fondemens d’aucune Philoſophie plus certaine que la vulgaire. Et l’exemple de pluſieurs excelens eſpris, qui, en ayant eu cy deuant le deſſein, me ſembloient n’y auoir pas reuſſi, m’y faiſoit imaginer tant de difficulté, que ie n’euſſe peuteſtre pas encore ſitoſt oſé l’entreprendre, ſi ie n’euſſe vû que quelques vns faiſoient deſia courre le bruit que i’en eſtois venu a bout. Ie ne ſçaurois pas dire ſur quoy ils fondoient cete opinion ; & ſi i’y ay contribué quelque choſe par mes diſcours, ce doit auoir eſté en confeſſant plus ingenuëment ce que i’ignorois, que n’ont couſtume de faire ceux qui ont vn peu eſtudié, & peuteſtre auſſy en faiſant voir les raiſons que i’auois de douter de beaucoup de choſes que les autres eſtiment certaines, plutoſt qu’en me vantant d’aucune doctrine. Mais ayant le cœur aſſez bon pour ne vouloir point qu’on me priſt pour autre que ie n’eſtois, ie penſay qu’il faloit que ie taſchaſſe, par tous moyens, a me rendre digne de la reputation