Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, VI.djvu/47

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au moins a la fin quelque part, où vrayſemblablement ils ſeront mieux que dans le milieu d’vne foreſt. Et ainſi, les actions de la vie ne ſouffrant ſouuent aucun delay, c’eſt vne verité tres certaine que, lorſqu’il n’eſt pas en noſtre pouuoir de diſcerner les plus vrayes opinions, nous deuons ſuiure les plus probables ; et meſme, qu’encore que nous ne remarquions point dauantage de probabilité aux vnes qu’aux autres, nous deuons neanmoins nous determiner a quelques vnes, & les conſiderer aprés, non plus comme douteuſes, en tant qu’elles ſe rapportent a la prattique, mais comme tres vrayes & tres certaines, a cauſe que la raiſon qui nous y a fait determiner, ſe trouue telle. Et cecy fut capable dés lors de me deliurer de tous les repentirs & les remors, qui ont couſtume d’agiter les conſciences de ces eſpris foibles & chancelans, qui ſe laiſſent aller inconſtanment a prattiquer, comme bonnes, les choſes qu’ils iugent aprés eſtre mauuaiſes.

Ma troiſieſme maxime eſtoit de taſcher touſiours plutoſt a me vaincre que la fortune, & a changer mes deſirs que l’ordre du monde ; et generalement, de m’accouſtumer a croire qu’il n’y a rien qui ſoit entierement en noſtre pouuoir, que nos penſées, en ſorte qu’aprés que nous auons fait noſtre mieux, touchant les choſes qui nous ſont exterieures, tout ce qui manque de nous reuſſir eſt, au regard de nous, abſolument impoſſible. Et cecy ſeul me ſembloit eſtre ſuffiſant pour m’empeſcher de rien deſirer a l’auenir que ie n’acquiſſe, & ainſi pour me rendre content. Car noſtre volonté ne ſe portant naturellement a