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le doit punir bientoſt aprés, s’il a mal iugé, que dans ceux que fait vn homme de lettres dans ſon cabinet, touchant des ſpeculations qui ne produiſent aucun effect, & qui ne luy ſont d’autre conſequence, ſinon que peuteſtre il en tirera d’autant plus de vanité qu’elles ſeront plus eſlolgnées du ſens commun, a cauſe qu’il aura deu employer d’autant plus d’eſprit & d’artifice a taſcher de les rendre vrayſemblables. Et i’auois touſiours vn extreme deſir d’apprendre a diſtinguer le vray d’auec le faux, pour voir clair en mes actions, & marcher auec aſſurance en cete vie.

Il eſt vray que, pendant que ie ne faiſois que conſiderer les meurs des autres hommes, ie n’y trouuois gueres de quoy m’aſſurer, & que i’y remarquois quaſi autant de diuerſité que i’auois fait auparauant entre les opinions des Philoſophes. En ſorte que le plus grand profit que i’en retirois, eſtoit que, voyant pluſieurs choſes qui, bien qu’elles nous ſemblent fort extrauagantes & ridicules, ne laiſſent pas d’eſtre communement receuës & approuuées par d’autres grans peuples, i’apprenois a ne rien croyre trop fermement de ce qui ne m’auoit eſté perſuadé que par l’exemple & par la couſtume ; et ainſi ie me deliurois peu a peu de beaucoup d’erreurs, qui peuuent offuſquer noſtre lumiere naturelle, & nous rendre moins capables d’entendre raiſon. Mais aprés que i’eu employé quelques années a eſtudier ainſi dans le liure du monde, & a taſcher d’acquerir quelque experience, ie pris vn iour reſolution d’eſtudier auſſy en moymeſme, & d’employer toutes les forces de mon eſprit a choyſir les chemins que ie deuois ſuiure. Ce qui me reuſſit beaucoup