Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, V.djvu/512

Cette page n’a pas encore été corrigée

498

��Correspondance.

��» tions si long-temps. Si la matière subtile, passant et repassant sans cesse » au travers des corps les plus durs, en enlevé à la fin quelque partie » solide, à plus forte raison le fera-t-elle dans le corps des animaux.

» Ce qu'elle fait dans l'or, dans le fer, dans les arbres,

» Dans les rochers et dans les marbres, » Ne souffriray-je pas qu'elle le fasse en moy ? » Seray-je seul au monde exempt de cette loy ? » Non, non, laissons-la faire, elle connoistses routes. » Soyent pour moy ces douleurs les dernières de toutes, » Ou qu'à d'autres encore ce corps soit réservé, » Gardons sur son débris nostre esprit élevé. » Pour mes cris, ma douleur les tire de ma bouche, » Comme les sons du luth qu'une adroitte main touche. » Ce n'est pas moy qui crie; et mon corps seulement, » Sans moy, sans mon aveu, se plaint de son tourment.

» Je rends grâces à la Nature » Qui, sans me donner lieu du plus léger murmure,

» Usant sur moy de ses droits,

» Pouvoit redoubler mille fois

» Toutes les peines que j'endure.

» Mais, poursuivit-il, quoy qu'il soit de l'institution de Dieu, quand il ■) unit nostre ame à une portion de matière, qu'à l'occasion de certains » mouvemens dans le corps, il naisse necessairernent dans nostre esprit » des sentimens vifs que l'on appelle douleur : cependant il est au pouvoir » des hommes d'appliquer leur ame à de si hautes et de si admirables spe- » culations, qu'elles la retirent presque entièrement des impressions que » luy peut donner le corps ; et telle a esté mon étude pendant toute ma vie.

1) Mesme au milieu des maux dont ce corps est la proye,

» Si j'ose l'avouer, je gouste quelque joye.

» Je sens avec plaisir que mon ame à l'écart

» Voit les maux de mon corps et n'y prend point de part ;

» Que la Philosophie, en mon cœur cultivée,

» Jusques a ce haut point a mon ame eslevée :

» Qu'avant que de la mort je sente les etîorts,

» Mon esprit est déjà séparé de mon corps.

» Mais de tous les secours, secours le plus solide,

» Au chemin des douleurs j'ay l'Homme-Dieu pour guide.

» Je connois que Dieu mesme autourment vint s'oîîrir,

» Que pour nous il se fit un plaisir de mourir.

» Et je murmurerois de ce peu que j'endure,

» Moy, fils de la poussière et vile créature !

» Non, j'atteste ce Dieu qui m'écoute aujourd'huy,

» Que c'est avec plaisir que je fnarche après luy.

�� �