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)8 OEuvRES DE Descartes. 72-74-

aucune façon à découurir les proprietez qui font la différence du Chiliogone d'auec les autres Pol3-gones.

Que s'il eft queflion de confiderer vn Pentagone, il eft bien vray que ie puis conceuoir fa figure, auffi bien que celle d'vn Chiliogone, fans le fecours de l'imagination; mais ie la puis auffi imaginer en appliquant l'attention- de mon efprit à chacun de fes cinq coftez, & tout enfemble à l'aire, ou à l'efpace qu'ils renferment. Ainfi ie connois clairement | que i'ay befoin d'vne particulière contention d'efprit pour imaginer, de laquelle ie ne me fers point pour conce- uoir; & cette particulière contention d'efprit montre cuidemment la différence qui ei1: entre l'imagination & l'intelledion ou concep- tion pure.

le remarque outre cela que cette vertu d'imaginer qui eft en moy, en tant qu'elle diffère de la puiffance de conceuoir, n'eft en aucune forte necelfaire à ma nature ou à mon eflence, c'eit à dire à l'eflence de mon efprit; car, encore que ie ne l'euffe point, il eft fans doute que ie demeurerois toufiours le mefme que ie fuis maintenant : d'où il femble que l'on puilfe conclure qu'elle dépend de quelque chofe qui diffère de mon efprit. Et ie conçoy facilement que, fi quelque corps exifte, auquel mon efprit ibit conjoint & vny de telle forte, 90 qu'il fe puiffe appliquer | à le confiderer quand il luy plaift, il fe peut faire que par ce moyen il imagine les chofes corporelles : en forte que cette façon de penfer diffère feulement de la pure intel- leclion, en ce que Tefprit en conceuant fe tourne en quelque façon vers Iby-mefme, & confidere quelqu'vne des idées qu'il a en foy ; mais en imaginant il fe tourne vers le corps, & y confidere quelque chofe de conforme à l'idée qu'il a formée de foy-mefme ou qu'il a receuë par les fens. le conçoy, dif-je, aifement que l'imagination fe peut faire de cette forte, s'il eft vray qu'il y ait des corps; & parce que ie ne puis rencontrer aucune autre voye pour expliquer com- ment elle fe fait, ie coniecture de là probablement qu'il y en a : mais ce n'eft que probablement, & quoy que l'examine foigneufement toutes chofes, ie ne trouue pas neantmoins que de cette idée diftinde de la nature corporelle, que i'ay en mon imagination, ie puiffe tirer aucun argument qui conclue auec necelFité l'exiftence de quelque corps.

I Or i'ay accouftumé d'imaginer beaucoup d'autres choies, outre cette nature corporelle qui eft l'objet de la Géométrie, à fçauoir les couleurs, les fons, les faneurs, la douleur, & autres chofes fem- blables, quoy que moins diftincfement. Et d'autant que i'apperçoy beaucoup mieux ces chofes-là par les fens, par l'entremife defquels, & de la mémoire, elles lemblent eftre paruenuës iufqu'à mon ima-

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