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MEDITATIONS.

quelque petit changement, que l’on reconnoistra bientost en conferant le François auec le Latin. Ce qui a donné le plus de peine aux Traducteurs dans tout cét ouurage, a esté la rencontre de quantité de mots de l’Art, qui, estant rudes & barbares dans le Latin mesme, le sont beaucoup plus dans le François, qui est moins libre, moins hardy, & moins accoustumé à ces termes de | l’École. Ils n’ont osé pourtant les obmettre, parce qu’il (4) eut fallu changer le sens, ce que leur defendoit la qualité d’Interpretes qu’ils auoient prise. D’autre part, lorsque cette version a passé sous les yeux de l’Auteur, il l’a trouuée si bonne, qu’il n’en a iamais voulu changer le style, & s’en est tousiours defendu par sa modestie, & l’estime qu’il fait de ses Traducteurs; de sorte que, par vne deference reciproque, personne ne les ayant ostez, ils sont demeurez dans cét ouurage.

I’adjousterois maintenant, s’il m’estoit permis, que ce Liure contenant des Meditations fort libres, & qui peuuent mesme sembler extrauagantes à ceux qui ne sont pas accoustumez aux Speculations de la Metaphysique, il ne sera ny vtile, ny agreable aux Lecteurs qui ne pourront appliquer leur esprit auec beaucoup d’attention à ce qu’ils lisent, ny s’abstenir d’en iuger auant que de l’auoir assez examiné. Mais i’ay peur qu’on ne me reproche que ie passe les bornes de mon mestier, ou plutost que ie ne le sçay guere, de mettre vn si grand obstacle au debit de mon Liure, par cette large exception de tant de personnes à qui ie ne l’estime pas propre. Ie me tais donc, & n’effarouche plus le monde. Mais auparauant, ie me sens encore obligé d’auertir les Lecteurs d’apporter beaucoup d’équité & de docilité à la lecture de ce Liure; car s’ils y viennent auec cette mauuaise humeur & cét esprit contrariant de quantité de personnes qui ne lisent que pour disputer, & qui, faisans profession de chercher la verité, semblent auoir peur de la trouuer, puisqu’au mesme | moment qu’il leur (5) en paroit quelque ombre, ils taschent de la combattre & de la détruire, ils n’en feront iamais ny profit, ny iugement raisonnable. Il le faut lire sans préuention, sans precipitation, & à dessein de s’instruire; donnant d’abord à son Auteur l’esprit d’Escolier, pour prendre par aprés celuy de Censeur. Cette methode est si necessaire pour cette lecture, que ie la puis nommer la clef du Liure, sans laquelle personne ne le sçauroit bien entendre.


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