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$40 Correspondance.

» l'amour incroyable d'une haute vertu, et elle méditoit avec plaisir les » moyens d'y parvenir; mais elle n'en séparoit pas le désir de la gloire, » de sorte qu'on peut dire qu'elle souhaitoit la vertu, accompagnée de » l'honneur qui la suit. Elle parloit quelquefois en Stoïcienne de cette » éminencc de la vertu qui fait nôtre souverain bonheur en cette vie. » Elle étoit forte en raisonnement sur ce sujet. Lorsqu'elle traitoit avec » des personnes trés-familiéres, et qu'elle entroit dans l'estime véritable » des choses de ce monde, c'étoit un plaisir extraordinaire de luy voir » mettre sa couronne sous ses pieds, et confesser que la vertu est le seul • vray bien auquel tous les hommes ont une égale prétention, sans avan- » tage de leurs conditions. Mais certes elle n'oublioit pas pour long-tems » qu'elle étoit Reine. Elle reprenoit incontinent cette couronne, elle en » reconnoissoit le poids, et mettoit le principal exercice de sa vertu à bien » faire son devoir. Aussi avoit-elle de grands avantages du côté de la « nature pour s'en acquiter dignement : une facilité merveilleuse à cora- » prendre et à pénétrer les affaires, une mémoire qui la servoit si fidé- » lement qu'elle abusoit quelquefois de sa facilité. En effet on auroit » peut-être eu raison de trouver à redire qu'une Princesse qui parloit par- » faitcment latin, françois, flamand, allemand et suédois, se chargeât » encore de la langue grecque, où elle faisoit de grands progrés ; mais elle » n'en faisoit que son divertissement aux heures perdues, sans que l'étude » de cette langue et dés autres troublât ses lectures sérieuses. C'est de ce » dernier nom qu'elle qualinoit entre autres l'histoire de Tacite, dont il » ne se passoit point de jour qu'elle ne lût quelques pages. Cet Auteur, x qui donne de l'exercice aux plus sçavans, luy étoit trés-familier, et » M. Chanut en rapporte des choses fort surprenantes, mais dont sa » propre expérience ne nous laisse point douter. î)lle évitoit pourtant, ou » du moins se soucioit-elle peu de paroître avoir lu et sçavoir. Lorsque » les sçavans traitoient en sa présence quelque question où ils se trou- » voient de différens sentiments (ce qui étoit un de ses plaisirs), elle écou- » toit fort attentivement, et ne donnoit son opinion que sur la fin, et en » peu de paroles, mais si bien entendues qu'elles pouvoient être reçues » pour un jugement décisif, parce qu'elle pénétroit les choses avec lu- » miére sans précipitation; et par tout elle observoit de ne point former « son avis à la hâte. Cette retenue paroissoit plus dans les affaires, que » dans les entretiens des sciences. Rarement pouvoit-on découvrir de » quelle part elle inclinoit. Elle se gardoit à elle même le secret avec fidé- » lité, et elle ne se prévenoit pas d'opinions sur les premiers rapports. » D'où il arrivoit que ceux qui l'abordoient avec quelque discours étudié, » ne trouvant pas qu'elle les reçût avec un acquiescement aussi prompt » qu'ils eussent souhaité, jugeoient aussi-tôt que cette Princesse étoit » défiante et difficile à persuader. A dire vray, elle panchoit un peu vers » l'humeur soupçonneuse, elle paroissoit quelquefois un peu trop lente à « s'assurer de la vérité, et trop facile à présumer de la finesse dans autruv. Cette retenue à former ce qu'elle vouloit croire et résoudre, n'empê-

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