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la recherche deſquels elles nous incitent, beaucoup plus grans qu’ils ne ſont veritablement ; & que les plaiſirs du cors ne ſont iamais ſi durables que ceux de l’ame, ny ſi grands, quand on les poſſede, qu’ils paroiſſent, quand on les eſpere. Ce que nous deuons ſoigneuſement remarquer, affin que, lorſque nous nous ſentons[1] emeus de quelque paſſion, nous ſuſpendions noſtre iugement, iuſques a[2] ce qu’elle ſoit apaiſée ; & que nous ne nous laiſſions pas ayſement tromper par la fauſſe apparence des biens de ce monde.

A quoy ie ne puis adiouſter autre choſe, ſinon qu’il faut auſſy examiner en particulier toutes les mœurs des lieux ou nous viuons, pour ſçauoir iuſques ou elles doiuent eſtre ſuiuies. Et bien que nous ne puiſſions auoir des demonſtrations certaines de tout, nous deuons neanmoins prendre parti, & embraſſer les opinions qui nous paroiſſent les plus vrayſemblables, touchant toutes les choſes qui vienent en vſage, affin que, lorſqu’il eſt queſtion d’agir, nous ne ſoyons iamais irreſolus. Car il n’y a que la ſeule irreſolution qui cauſe les regrets & les repentirs.

Au reſte, i’ay dit cy deſſus qu’outre la connoiſſance de la verité, l’habitude eſt auſſy requiſe, pour eſtre touſiours diſpoſé a bien iuger. Car, d’autant que nous ne pouuons eſtre continuellement attentifs a[3] meſme choſe, quelques claires & euidentes qu’ayent eſté les raiſons qui nous ont perſuadé cy deuant quelque[4] verité, nous pouuons, par apres, eſtre detournez de la croyre par de fauſſes apparences, ſi ce n’eſt que, par

  1. nous ſentons] ſommes.
  2. iuſqu’à.
  3. après a] vne ajouté. —
  4. quelque] vne.