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que, par ce moyen, il s’accouſtume a ne les point deſirer ; car il n’y a rien que le deſir, & le regret ou le repentir, qui nous puiſſent empeſcher d’eſtre contens : mais ſi nous faiſons touſiours tout[1] ce que nous dicte noſtre raison, nous n’aurons iamais aucun ſuiet de nous repentir, encore que les euenemens nous fiſſent voir, par apres, que nous nous ſommes trompez, pour ce que ce n’eſt point par noſtre faute. Et ce qui fait que nous ne deſirons point d’auoir, par exemple, plus de bras ou plus de langues que nous n’en auons, mais que nous deſirons bien d’auoir plus de ſanté ou plus de richeſſes, c’eſt ſeulement que nous imaginons[2] que ces choſes icy[3] pourroient eſtre acquiſes par noſtre conduite, ou bien qu’elles ſont deues a noſtre nature, & que ce n’eſt pas le meſme des autres de laquelle opinion nous pourrons nous depouiller, en conſiderant que, puiſque nous auons touſiours ſuiui le conſeil de noſtre raiſon, nous n’auons rien omis de ce qui eſtoit en noſtre pouuoir, & que les maladies & les inſortunes ne ſont pas moins naturelles a l’homme, que les proſperitez & la ſanté.

Au reſte, toute ſorte[4] de deſirs ne ſont pas incompatibles auec la beatitude ; il n’y a que ceux qui ſont accompagnez d’impatience & de triſteſſe. Il n’eſt pas neceſſaire auſſy que noſtre raiſon ne ſe trompe point ; il ſuffit que noſtre conſcience nous teſmoigne que nous n’auons iamais manqué de reſolution & de vertu, pour executer toutes les choſes que nous auons iugé eſtre les meilleures, & ainſy la vertu ſeule eſt ſuſſi-

  1. tout omis.
  2. nous nous imaginons.
  3. icy] cy.
  4. toutes ſortes,