ſeul, & que i’ay donné tout le reſte de mon temps au relaſche des ſens & au repos de l’eſprit ; meſme ie conte, entre les exercices de l’imagination, toutes les conuerſations ſerieuſes, & tout ce à quoy il faut auoir de l’attention. C’eſt ce qui m’a fait retirer aux champs ; car encore que, dans la ville[1] la plus ocupée du monde[2], ie pourrois auoir autant d’heures à moy, que i’en employe maintenant à l’étude, ie ne pourrois pas toutes-fois les y employer ſi vtilement, lors que mon eſprit ſeroit laſſé par l’attention que requert le tracas de la vie. Ce que ie prens la liberté d’écrire icy à voſtre Alteſſe, pour luy témoigner que i̇’admire veritablement que, parmy les affaires & les ſoins qui ne manquent iamais aux perſonnes qui font enſemble de grand eſprit & de grande naiſſance, elle ait pû vaquer aux meditations qui ſont requiſes pour bien connoiſtre la diſtinction qui eſt entre l’ame & le corps. Mais l’ay iugé que c’eſtoit ces meditations, plutoſt que les penſées qui requerent moins d’atention, qui luy ont fait trouuer de l’obſcurité en la notion que nous auons de leur vnion ; ne me ſemblant pas que l’eſprit humain foit capable de conceuoir bien diſtinctement, & en meſme temps, la diſtinction d’entre l’ame & le corps, & leur vnion ; à cauſe qu’il faut, pour cela, les conceuoir comme vne ſeule choſe, & enſemble les conceuoir comme deux, ce qui ſe contrarie. Et pour ce ſuiet, (ſupofant que voſtre Alteſſe auoit encore les raiſons qui prouuent la diſtinction de l’ame & du corps ſont preſentes à ſon eſprit, & ne voulant point la ſuplier de s’en défaire, pour ſe repreſenter la
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