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Sauvez-moi de ces lieux. Dites : c’est sans retour !
Cet effort finira ma vie ou mon amour.
Emportez ma douleur loin de lui, loin du monde ;
Loin de moi, s’il se peut, ma sœur, emportez-moi.
Mais la nuit qui nous couvre est-elle assez profonde ?
Oh ! non ; les flots, le ciel tout me remplit d’effroi.
Est-il temps de mourir ? Et lui, lui que j’adore,
Ne puis-je, en le fuyant, vous le nommer encore ?
Ne puis-je de sa voix appeler la douceur ?
Ne puis-je le revoir ?… Non, sauvez-moi, ma sœur.
Mon mal est dans sa vue ! et, lorsque j’y succombe,
Mon mal doit vous toucher, ce n’est pas le remord.
Cachez-moi dans vos bras, dans la nuit, dans la tombe ;
Je demande à le fuir, je ne crains plus la mort.
Venez ! s’il descendait sur la plage déserte,
Un charme sur mes pas attirerait ses pas :
Prête à me confier à la vague entr’ouverte,
Je lui dirais adieu… je ne partirais pas.

Il sait tout. Ô ma sœur ! il rappelait mon âme.
Nos regards se parlaient malgré nous confondus ;
Tout baignés de tristesse, et de pleurs, et de flamme,
Dans ses regards si doux les miens se sont perdus.
Et je fuis ! et des cieux la pitié m’abandonne !
Je ne les verrai plus, ils étaient dans ses yeux.
Si tu voyais ses yeux ! Oh ! l’ange qui pardonne
Doit regarder ainsi quand il ouvre les cieux !

J’étais seule avec lui, j’écoutais son silence ;
L’heure, une fois pour nous, perdit sa vigilance.
Contre un penchant si vrai, si longtemps combattu,
Ma sœur, je n’avais plus d’appui que sa vertu.