TRISTESSE
N’irai-je plus courir dans l’enclos de ma mère ?
N’irai-je plus m’asseoir sur les tombes en fleurs ?
D’où vient que des beaux ans la mémoire est amère ?
D’où vient qu’on aime tant une joie éphémère ?
D’où vient que d’en parler ma voix se fond en pleurs ?
C’est que, pour retourner à ces fraîches prémices,
À ces fruits veloutés qui pendent au berceau,
Prête à se replonger aux limpides calices
De la source fuyante et des vierges délices,
L’âme hésite à troubler la fange du ruisseau.
Quel effroi de ramper au fond de sa mémoire.
D’ensanglanter son cœur aux dards qui l’ont blessé,
De rapprendre un affront que l’on crut effacé,
Que le temps, que le ciel a dit de ne plus croire,
Et qui siffle aux lieux même où la flèche a passé !
Qui n’a senti son front rougir, brûler encore,
Sous le flambeau moqueur d’un amer souvenir ?