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POÉSIES.

Oppose un voile humide aux brûlantes chaleurs ;
Et moi, cherchant le frais sur la mousse et les fleurs,
Je m’endormis. Ne grondez pas, ma mère !
Dans notre enclos qui pouvait pénétrer ?
Moutons et chiens, tout venait de rentrer,
Et j’avais vu Daphnis passer avec son père.
Au bruit de l’eau, je sentis le sommeil
Envelopper mon âme et mes yeux d’un nuage,
Et lentement s’évanouir l’image
Que je tremblais de revoir au réveil :
Je m’endormis. Mais l’image enhardie
Au bruit de l’eau se glissa dans mon cœur.
Le chant des bois, leur vague mélodie,
En la berçant, fait rêver la pudeur.
En vain, pour m’éveiller, mes compagnes chéries
Auraient fait de mon nom retentir les prairies
En me tendant leurs bras entrelacés ;
J’aurais dit : « Non, je dors, je veux dormir ; dansez ! »

Mille songes couraient ; c’étaient les seuls nuages
Que la lune teignît de ses vagues lueurs,
Comme les papillons sur leurs ailes volages
De l’air qui les balance empruntent les couleurs.

Calme, les yeux fermés, je me sentais sourire ;
Des songes prêts à fuir je retenais l’essor ;
Mais, las de voltiger (ma mère, j’en soupire),
Ils disparurent tous ; un seul me trouble encor ;
Un seul. Je vis Daphnis franchissant la clairière ;
Son ombre s’approcha de mon sein palpitant ;
C’était une ombre, et j’avais peur pourtant ;
Mais le sommeil enchaînait ma paupière.