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nard et de Berquin, mais plus neuves et plus senties. Au reste, lorsqu’elle s’échappa à faire des vers, elle n’avait rien lu, rien. Elle avait lu d’aventure Tom Jones en français, et peut-être Guzman d’Alfarache ; elle avait commencé Paul et Virginie, sans oser le finir. Son harmonie, sa mélodie poétique, ne vinrent d’abord que d’elle, et furent tout instinct.

Comme elle apprenait à lire, étant enfant, par les soins de sa sœur aînée, dans Florian, dans Estelle et Némorin, on lui faisait épeler surtout le paragraphe où il est dit (c’est le vieux Raimond qui s’adresse à Némorin) : Cependant vous aimez ma fille ; et là-dessus elle se sauvait dans le cimetière pour n’en pas lire davantage, et en répétant ce mot-là durant de longues heures.

Elle était en Belgique, à Bruxelles, quand deux ou trois romances d’elle coururent. Elle venait de se marier ; son beau-père, homme de goût, fut surpris de ces essais, et lui demanda si elle en avait encore : elle avait fait, répondit-elle, quelques autres petites choses, sans savoir. On s’en chargea pour elle et on les envoya à Paris, où le libraire Louis les imprima, en 1818. Comme il n’y avait pas assez de pièces pour former un volume, on y ajouta la petite nouvelle en prose de Marie, qui se retrouva depuis imprimée dans les Veillées des Antilles (1821). Madame Valmore, poëte, parut donc au jour vers le même temps que Casimir Delavigne, que Lamartine, qu’André Chénier ressuscité, et un peu, je crois, avant eux tous : elle fut comme la première hirondelle, toujours empressée, quoique craintive.

Dans une très-belle édition de 1820, plus complète que celle de 1818, et où il n’y a que des vers[1], j’aime à considérer la première et pure forme de son talent, sans complication aucune. Il semble qu’il y ait plus de facilité pour le coup d’œil, plus de sûreté pour le jugement, dans ces premières éditions originales, dans ces sortes de gravures avant la lettre. Il m’est bien clair quand je tiens ce volume-là, de cette

  1. In-8o, chez François Louis également.