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J’y porte son berceau, c’est mon dernier hommage ;
Douloureux pour sa mère, inutile pour lui ;
Ce n’est plus qu’un tombeau que j’y vois aujourd’hui,
Et dans mon âme en deuil j’offrirai son image.
Des fleurs... je n’en ai plus... Ah ! j’ai trop peu de temps,
On meurt jeune sans l’espérance :
Mais, tant que je vivrai, fût-ce jusqu’au printemps,
J’y viendrai cacher ma souffrance ! »

Alors un saint pasteur, triste de souvenir,
Prend le berceau léger, qu’il promet de bénir.
Une autre femme approche en sa misère errante ;
Sa voix n’a qu’un accent qui murmure : « Donnez ! »
Elle indique un enfant aux regards consternés ;
Et cet objet voilé la rend plus déchirante.
« Ah ! dit la jeune mère, il faut vous secourir ;
Vous cachez un enfant ; sa misère est affreuse :
Ne souffrez pas pour lui, femme ! Soyez heureuse.
Moi, je n’ai plus d’enfant... Moi, je n’ai qu’à mourir ! »

Un cri doux et perçant rompt cette plainte amère,
Et le lambeau s’agite, et le cri dit : « Ma mère ! »
Et la mère éperdue a saisi son enfant,
Et l'affreuse étrangère à peine le défend ;
Elle fuit, elle roule au bas de la montagne.
Et, comme un noir corbeau, se perd dans la campagne.
La véritable mère écarte les lambeaux ;
Ses yeux longtemps éteints, pareils à deux flambeaux,
S’allument : « C’est mon fils !... qu’il est pâle ! » Elle tombe,
Sous l’excès du bonheur la nature succombe ;
Car on dirait que, créés pour souffrir,
Nous ne pouvons qu’à peine être heureux sans mourir.