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Mon front, que l’ennui décolore,
Doit se pencher sans ornement.
Du sort qui m’enchantait la fatale inconstance
De ma jeunesse a flétri l’espérance :
Un orage a courbé le rameau délicat ;
Et mes vingt ans passeront sans éclat ;
Je les donne à la solitude ;
Je donne aux Muses mes loisirs.
L’art de plaire fait votre étude,
L’art d’aimer fera mes plaisirs ;
Mais non, je l’oublirai cet art, ce don funeste,
Qui servit à l’Amour quand il forma mon cœur.
Non, ce présent des cieux ne fait pas le bonheur ;
C’est pourtant le seul qui me reste !
Le monde où vous régnez me repoussa toujours ;
Il méconnut mon âme à la fois douce et fière ;
Et d’un froid préjugé l’invincible barrière
Au froid isolement condamna mes beaux jours.
L’infortune m’ouvrit le temple de Thalie ;
L’espoir m’y prodigua ses riantes erreurs ;
Mais je sentis parfois couler mes pleurs
Sous le bandeau de la Folie.
Dans ces jeux où l’esprit nous apprend à charmer,
Le cœur doit apprendre à se taire ;
Et lorsque tout nous ordonne de plaire,
Tout nous défend d’aimer.