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PAUVRES FLEURS.

Tuant jusqu’à l’enfant qui regardait sans voir,
Et rougissant le lait encor chaud dans sa bouche…
Oh ! devinez pourquoi dans ces jours étouffans,
J’ai retenu mon vol aux cris de mes enfans :
Devinez ! devinez dans cette horreur suprême,
Pourquoi, libre de fuir sous le brûlant baptême,
Mon âme qui pliait dans mon corps à genoux,
Brava toutes ces morts qu’on inventait pour nous !

Savez-vous que c’est grand tout un peuple qui crie !
Savez-vous que c’est triste une ville meurtrie,
Appelant de ses sœurs la lointaine pitié,
Et cousant au linceul sa livide moitié,
Écrasée au galop de la guerre civile !
Savez-vous que c’est froid le linceul d’une ville !
Et qu’en nous revoyant debout sur quelques seuils
Nous n’avions plus d’accens pour lamenter nos deuils !

Écoutez, toutefois, le gracieux prodige,
Qui me parla de Dieu dans l’inhumain vertige ;
Écoutez ce qui reste en moi d’un chant perdu,
Succédant d’heure en heure au canon suspendu :