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iv

Alors tout a disparu pour vous, faim, fatigue et sommeil ; vous vous êtes arrêté, la tête inclinée, la bouche entr’ouverte, l’œil fixé sur ce massif noir, duquel semblaient sortir ces souffles d’harmonie qui se mêlaient à l’air du soir et venaient à vous dans l’ombre ; et pendant que vous étiez là, immobile et en extase, les sons se sont succédé ; vous avez pu les suivre, les analyser, et bientôt, désenchanté comme d’un premier amour, vous vous êtes dit, en piquant des deux votre cheval et en reprenant votre route :

— Ce n’est que la vibration d’une harpe dans laquelle passe le vent. —

Cependant, dédaigneux que vous fûtes alors, combien de fois depuis, soit dans un bal, soit au théâtre, dans votre veille ou dans votre sommeil, combien de fois, dites, quoique votre esprit fût alors et tout entier attaché aux choses qui en étaient les plus éloignées, combien de fois n’avez-vous pas tressailli tout à coup, croyant encore entendre ces sons éoliens qui vous avaient frappé au soir sur une route d’Édimbourg ou de Dumfries, et dont votre ame avait gardé le souvenir ?

Ce n’était cependant que la vibration d’une harpe dans laquelle passait le vent.