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UNE FEMME

Comme deux vrais Anglais, Haverdale et Bingley en se revoyant n’avaient pas échangé une parole sur le douloureux souvenir de Fanelly. Ils étendirent dessus comme à l’envi un voile froid et impénétrable, dont chacun tenait les coins fortement serrés, sans qu’il prît à l’un d’eux la dangereuse fantaisie de le soulever. Ils portèrent silencieusement à deux cet holocauste de misères. Mais ni Paris, ni ses prestiges, ses fracas, ses séductions, ses fortunes et ses crimes ne purent ramener un signe de vivant intérêt dans les jours pétrifiés du jeune lord. Tout ce qu’il voyait, tout ce qu’il touchait, lui semblait changé en pierre ; sa mémoire creuse et incendiée n’avait plus un écho d’autrefois ; l’ennui, partout l’invisible et dévorant ennui serpentait autour de sa jeunesse et de son opulence ; partout soufflait une haleine desséchante dans l’air où passait Haverdale. Son poison flétrissait d’avance toutes les fleurs de sa vie, écrasait son avenir entier sous son amertume désespérante. Oh ! ce sera toujours affreux ! Bingley attendait en vain après cet autre avenir, tracé pendant la fièvre et le délire de l’orgueil jaloux. Ce plan n’avait pu éclore ni germer. L’àme était trop vierge ; comme la veuve indienne, elle s’était étendue sur le bûcher pour s’en aller sans | 1