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LE BAISER DU ROI.

gauchement à son approche pour la conduire vers la table, l’odieux Ericson, l’objet de son unique aversion, le but méprisé des sarcasmes de sa joyeuse malice.

— Qu’a donc mon père pour se moquer ainsi de moi ce soir ? pensa-t-elle en elle-même, et regardant de côté cette figure trop connue. Oh ! c’est bien lui ! poursuivit-elle tout bas en étouffant un soupir et une envie de rire incommode qui se combattaient ensemble.

Qu’est-ce qu’il me veut donc ce laid capitaine, avec ses deux gros yeux bleus faïence et ses cheveux jaunes frisés à l’enfant ?

Sa haine naïve n’ajoutait, en effet, rien au disgracieux portrait qu’elle tirait à part du grand jeune homme osseux et inélégant qui posait devant elle, avec son nez ultraaquilin, ses joues rugueuses, et l’incivile hardiesse de son regard militaire, qui semblait prendre d’assaut les charmes frêles et boudeurs de cette fière sensitive ; car tel était depuis peu de semaines le plus constant visiteur du ministre avec lequel il demeurait enfermé durant des heures entières. En vain Christine, dans le désespoir d’une délicieuse toilette perdue, se fût résignée à subir ses galanteries et sa vulgaire admiration. Cette machine de guerre fût restée six mois devant elle sans qu’il en sortit un compliment. La seule manifestation du trouble qui dérangeait sa gravité, c’était