Le père de Jane, malgré l’abaissement progressif de sa fortune, était, par son caractère, par sa naissance, l’homme le plus considéré du voisinage de la Cove. Il vivait dans une propriété noble et sans produits, seul débris qu’il eût conservé des possessions de sa famille ; n’ayant jamais souillé ses mains par le trafic, il s’estimait, en raison de son inaction et de son rang, supérieur aux habitants industrieux de la ville : c’était sûrement par d’autres traits d’un caractère élevé qu’il s’était acquis les respects de ses voisins, notamment du père de Frank, officier distingué de l’armée. Les deux gentilshommes devinrent donc amis et inséparables associés de préjugés contre le commerce. Par une autre singularité, M. Darcey, ébloui de l’air martial et des insignes honorables qu’avait rapportés de la guerre le colonel Hardi, destina dès l’enfance le frère de Jane à l’état militaire ; tandis que le père de Frank, couvert de blessures graves, dont la récompense était fort mince, n’avait pu se résoudre à livrer son cher Frank’aux chances de sa glorieuse et sanglante profession’: il rêvait donc constamment et profondément à choisir une illustre, riche et paisible carrière à ce fils trop aimé, quand la mort le surprit sans lui laisser même le temps de l’indiquer à son orphelin perdu sur la terre, où il n’avait acheté, lui, de tout son sang, que la place d’une tombe.
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UNE FEMME.