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reconnais que j’en étais émue. Alors, je ne m’en rendais pas compte. Seulement, j’attendais Henry sans bouger de place, sans détourner la tête du chemin où j’étais sure de le voir paraître... et il paraissait. Il paraissait toujours sans m’ avoir dit de l’attendre. Que le bonheur le plus pur l’en récompense ! »

Cette époque lui rappelait un autre, souvenir, pénible, celui-là. Un jour, son père avait reçu une lettre de deux grands-oncles, libraires en Hollande. Tous deux « célibataires, centenaires » et riches s’étaient souvenus de leur famille de Douai et lui offraient leur succession ; ils y mettaient une condition : le retour à la religion protestante (c). « On fit une assemblée dans la maison, dit Marceline. Ma mère pleura beaucoup. Mon père était indécis et nous embrassait. — Enfin, on refusa la succession, dans la peur de vendre notre âme, et nous restâmes dans une misère qui s’accrut de mois en mois, jusqu’à causer un déchirement d’intérieur où j’ai puisé toutes les tristesses de mon caractère. » Cette noble résolution ne fut pas récompensée, il semble, au contraire, que l’aventure ne laissa au foyer que des germes de révoltes et de désunion. Moins résigné à vivre pauvre, on songeait sans cesse à cette fortune, à ce bien-être dont on n’avait pas voulu; la misère augmentait, les temps devenaient plus difficiles. Enfin , à la suite de difficultés intimes, sur lesquelles la piété