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MÉLANGES


Dieu l’a vu. Dieu cueillait comme des fleurs froissées
Les femmes, les enfants, qui s’envolaient aux cieux.
Les hommes… les voilà dans le sang jusqu’aux yeux.
L’air n’a pu balayer tant d’âmes courroucées[1].

Elles ne veulent pas quitter leurs membres morts.
Le prêtre est là, marquant le prix des funérailles ;
Et les corps étendus, troués par les mitrailles,
Attendent un linceul, une croix, un remords.

Les vivants n’osent plus se hasarder à vivre.
Sentinelle soldée, au milieu du chemin,
La mort est un soldat qui vise et qui délivre
Le témoin révolté qui parlerait demain…

DES FEMMES.

Prenons nos rubans noirs, pleurons toutes nos larmes ;
On nous a défendu d’emporter nos meurtris[2] :
Ils n’ont fait qu’un monceau de leurs pâles débris :
Dieu ! bénissez-les tous, ils étaient tous sans armes !

Lyon, 4 avril 1834.
  1. Ce vers rappelle celui de d’Aubigné exprimant les massacres de la Saint-Barthélemy et cette buée de sang qui s’exhale des carnages :
    À l’heure que le ciel fume de sang et d’âmes.
    L’un et l’autre vers, qui se rencontrent dans une même image, sont tout simplement sublimes. (Sainte-Beuve.)
  2. Meurtris pour tués, assassinés. Ainsi dans Athalie, Joad s’adressant aux lévites (acte V, scène VI) :
    Allez, sacrés vengeurs de vos princes meurtris !