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jour où sont nées la Fadette et la Mare au diable, ces idylles où manquent le rhythnie et la rime.

En résumé, Théocrite fut doué de cette volonté qui fait les œuvres petites et parfaites, plutôt que de cette inspiration d’où naissent les œuvres larges et grandioses : il est plus humain qu’héroïque, plus près de la réalité que de l’idéal. Aux bords de la mer, aux vallons de Sicile, dans l’intérieur des Syracusaines, c’est le plus fidèle interprète de la vie réelle, bon peintre de paysages, meilleur peintre de ceux qui peuplent et qui animent ces paysages. La rare souplesse de son talent, la flexibilité de son observation, lui ont permis de saisir les nuances de langage et de caractère les plus opposées. Nul poëte n’est plus doux et plus tendre ; aucun n’est au besoin plus farouche et plus énergique. Il a connu la grâce des mœurs rustiques ; il en a su toute la rudesse. Il a compris toutes les tendresses de l’amour ; il en a compris aussi toutes les violences. Et tandis que d’autres plus grands ont élevé la nature humaine à l’idéal, Théocrite nous a montré la nature humaine tout entière dans ses harmonieux contrastes, et, par son exemple difficile à suivre, il nous a prouvé que le vrai rehaussé par l’art, quoique à peu près séparé de l’idéal, pouvait devenir l’égal du Beau.