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de leur intelligence, et qui ne livrent d’eux-mêmes que leur dialectique agile et leur ferme raisonnement. Ils craindraient d’abaisser leur idéal en le soumettant à des contradictions banales, et quand ils le savent bien établi comme dans un temple intérieur, ils abordent la plupart des hommes sur le terrain de la réalité. Bons et humains, ils le sont pour la plupart, mais sans grandes démonstrations extérieures. Ils ont sucé un lait trempé d’amertume, et toujours ils se ressentiront du premier breuvage empoisonné. Quelque chose de désolant leur en est resté : ce n’est que leur enveloppe. Le cœur ne bat pas moins en dessous. Mais les formes demeurent hautaines, glaciales parfois. Ah ! pour qui saurait voir au fond des âmes, les flots de jeunesse et de séve sont toujours prêts à ruisseler. La vivacité de la sensation dans les natures juvéniles ne le cède pas aux plus violentes impressions de Chactas ou d’Hernani. Seulement, contenue, silencieuse, captive, cette sensation, multipliée, arrive à un état de concentration et d’accumulation qui produit parfois des élans ou des explosions formidables. Rien de commun avec la tristesse débordante de René ou de Rolla. Ces passions ainsi comprimées, littéraires ou politiques, sont bien plutôt destinées aux éclats de l’action qu’aux élégiaques effusions du rêve. Au lieu d’être instinctives, elles sont réfléchies, soumises au contrôle d’une expérience précoce et d’une logique toujours en garde. Le jeune homme, tel que l’a fait la société moderne, est donc un être singulièrement complexe, un cœur sensible et désabusé, une imagination armée de raison !