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là où l’analyse est faite en pleine lumière, devant des modèles faciles à saisir. Le cœur d’Achille, nourri de sentiments simples, se livre beaucoup plus vite à l’observateur que l’âme compliquée d’un moderne. Et d’un siècle à l’autre cette complication va s’augmentant. La pleine possession des vérités générales, l’accroissement des lumières qui s’éparpillent dans toutes les classes, la concentration nécessaire des passions et des sentiments dans une société où les originalités extérieures sont de moins en moins permises, le va-etvient de tant d’idées en lutte, font des âmes contemporaines des sujets d’investigation beaucoup plus difficiles à scruter et à manier que les caractères des anciens ou des hommes du XVIIe siècle. Il en était déjà ainsi au XVIIIe siècle par rapport à l’âge précédent. Les passions, les sentiments, la pensée même, avaient acquis plus de finesse et plus d’étendue. L’observation devait par suite affiner son instrument, le style, pour en faire véritablement un instrument de précision. La simplicité y perdait, le goût y a perdu, mais comme la science du goût y a gagné ! Selon l’expression d’un des maîtres de l’analyse moderne, M. SainteBeuve, quelle « histoire naturelle de l’âme » ont successivement préparée Marivaux, Duclos, Vauvenargues, Champfort, Joubert, et de nos jours Balzac et Stendhal ! En résumé, demander à Marivaux qui va poursuivre l’âme jusque dans ses derniers refuges, lui demander à tout moment une simplicité dont il ne s’écarte que pour exprimer à fond sa pensée, c’est vouloir imposer la langue des mathématiques à l’analyse de ce