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ô moralistes, sous prétexte de préparer des hommes pratiques. J’ai vu vos élèves à l’œuvre. Au reste, les tristes héros que dans le roman ou sur la scène nos contemporains peignent sur le vif font singulièrement regretter cette race intempérante mais généreuse des possédés du Rêve et des insensés de l’Amour. Depuis longtemps les œuvres et les hommes glacés d’expérience font terriblement froid au cœur. Mieux vaut le mal de René, ce mal superbe que cet état de quiétude égoïste qui n’est pas la fièvre et non plus la santé. Nous n’avons que trop d’hommes d’avidité et de plaisir. Qu’on nous ramène à la famille des êtres romanesques, mais capables de grandeur intermittente et d’entraînement héroïque. Qu’on nous rende plutôt la race de René !

Oui ! dans tous ces malaises, dans tous ces emportements, se trahissait une pensée de noblesse, de désintéressement, de grandeur. La mélancolie, exclusive comme une abdication du bonheur légitime, était salutaire en tant que renoncement aux joies brèves et vulgaires, aux satisfactions exclusivement matérielles. Elle déclarait notre plénitude de vie spirituelle, impatiente des entraves terrestres, ambitieuse de l’Infini. S’écrier alors avec la solennité de la Douleur et de la Rêverie : « Levez-vous, orages désirés qui devez emporter René dans une autre vie ! » c’était proclamer une aspiration sublime vers la perfection inconnue et comme une nostalgie de l’Idéal. Chez ces êtres curieux de souffrance l’âme vivait trop fiévreusement peut-être : chez beaucoup de nos contemporains elle