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avec je ne sais quelles poignantes délices. Ce plaintif écho, ce miroir attristé de toute une époque vibrante et saignante ne pouvait être que le Poëte, éternel confident de l’humanité désolée.

Nos pères trouvèrent donc dans Châteaubriand (1) un autre eux-mêmes, qui les dominait seulement de la hauteur du génie. Ce Moi du poëte déguisé derrière Chactas ou René, c’était leur propre image multipliée. Comme on l’a dit de Gœthe, Châteaubriand fut Vhommesiècle, le siècle ayant été mélancolique pendant la plus grande partie de sa hâtive influence. Et la mélancolie qui s’ignorait s’admira sous une forme choisie, poétique, idéale.

Ce fut ainsi que dans notre pays, durant plus de trente ans, pour la première fois la Mélancolie domina sans conteste, exclusive et impérieuse. J’en atteste les chefs-d’œuvre de l’initiateur, Atala et René. Et que d’œuvres magistrales à la suite, pleines d’un charme et d’un trouble égal, l’impérissable Obermann, les Méditations, où la Mélancolie ouvre des ailes lyriques, les meilleures pages de Musset, Joseph Delorme, si poignant qu’il n’a point perdu sa prise sur les âmes, Chatterton, et vous aussi, mystérieuses Fleurs du mal, au parfum morbide mais si pénétrant !

Un péril pourtant se cachait dans cette domination d’un sentiment maladif. L’harmonie des facultés, la santé de l’intelligence, la sérénité féconde, étaient aisément bannies de l’art et par suite de l’existence. La

(1) Bien différent sur ce point de Byron, dont le génie demeura contradictoire et hostile à ses concitoyens.