Page:Des Essarts - Les Voyages de l’esprit, 1869.djvu/255

Cette page n’a pas encore été corrigée

époques tourmentées ? Le poëte est un oiseau d’orage. Tempêtes du cœur, vous serez toujours faites pour solliciter son vol, pour inspirer son essor !

Elle était triste jusqu’au dégoût de la vie, cette génération qui avait grandi comme les fleurs des ruines. Pendant une quinzaine d’années, un grand nombre d’esprits distingués sont venus au monde sous ces influences malignes, condamnés en naissant à la mélancolie, comme si une brume inévitable eût enveloppé tous les berceaux. Ils souffraient plus qu’ils ne le croyaient eux-mêmes. Le présent, assombri par tant d’images récentes, ne pouvait remplir le vide de leur cœur ; le passé, si lointain déjà qu’il s’offrait à eux sous un jour faux et séduisant, les attirait par cette illusion de tous les malheureux qui cherchent l’âge d’or en arrière. Entre l’avenir plein d’ombre et le passé à demi éclairé, ils s’avançaient vaguement, ployés sous le fardeau de l’existence. Le mal confus qu’ils recélaient en eux et qu’ils cherchaient en vain à se dissimuler par la pratique journalière de la vie eût fini par consumer ces générations douloureuses, s’il n’avait trouvé dans la poésie à la fois son aliment et son remède.

Il y a longtemps que Théocrite a dit :

Il n’est d’autre remède à l’amour que les Muses.

Ainsi de la mélancolie. Les âmes malades ne devaient espérer de soulagement que de celui qui, atteint de leur propre souffrance, serait assez habile pour leur faire contempler le spectacle de leur torture