C’est qu’autour de Lucrèce commençait à se faire un de ces vastes écroulements qui ne laissent rien debout dans l’âme humaine. Les mœurs s’affaissent, les lois succombent, les dieux s’en vont. Cette chute immense de la société romaine et de la religion polythéiste dure plusieurs siècles, et la mélancolie qui est née parmi ces débris ne fait qu’étendre son empire sur les spectateurs intelligents de pareils désastres, vélut ad spectaculum occidentis patriœ a fortuna positi. Après un Lucrèce viennent un Virgile et un Sénèque, âmes profondément mélancoliques. Virgile chantait au lendemain du Triumvirat, Sénèque écrivait sous Néron. Si discrète que puisse être chez eux la mélancolie, tempérée chez l’un par le goût, chez l’autre par l’esprit, elle est présente et visible à plus d’un endroit dans leur œuvre. Quels sont les meilleurs vers de l’Énéide ? Des vers émus et tendres, des vers rêvés, comme le dira Châteaubriand, ouvrant à la pensée de larges échappées sur de nouveaux domaines de sentiment et de passion.
De même qui nous montrera dans les prosateurs antérieurs grecs et latins les effusions inattendues qui se trouvent en abondance dans le De Vita beata ou la Consolation à Helvie ? Choisissons à l’aventure dans les Lettres à Lucilius :
« Il y a je ne sais quelle volupté dans la tristesse. »
« Tout peut être retentissant au dehors, pourvu « qu’au dedans ne soit pas le tumulte. Que sert en « effet le vaste silence d’un vaste espace, si tout le « reste est en frémissement ? »
« Le bonheur est chose inquiète. »