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surtout sous la forme dogmatique que Victor Hugo a donnée à sa conviction d’ailleurs légitime.

Nous croyons, avec le critique de William Shakespeare, et en songeant à lui, que les vrais poètes nous proposent un généreux exemple en assumant une part des souffrances et des aspirations de leur temps. Mais nous croyons aussi que, moins estimables, ils pourraient n’être pas moins grands poëtes s’ils écartaient ces préoccupations civiles et sociales. Quoi qu’en dise Victor Hugo, la mission de l’Art est avant tout d’enchanter ; son véritable but est de calmer et de satisfaire la nostalgie du Beau qui s’irrite au fond de nos cœurs. C’est assez pour sa grandeur et pour sa perfection. Quand il prête au progrès la parure de la Forme, l’Art ne peut que s’agrandir et s’ennoblir ; mais le Beau se suffit à lui-même, surtout lorsqu’il implique le Bien, comme il arrive presque toujours.

Victor Hugo distingue le poëte de la logique, — Lucain, le poëte du caprice, — Horace, et un troisième poëte composé de l’un et de l’autre, tel que Juvénal, et supérieur aux deux autres. Or, un poëte chez qui domineront les tendances sociales ou philosophiques, un Perse, même un Juvénal, sacrifiera nécessairement au Vrai et à l’Utile nombre délicatesses et nombre splendeurs artistiques, une portion considérable de Beauté. Le premier poëte, le poëte du caprice, l’idolâtre de la couleur, du sentiment pur, s’il est Sapho, Catulle, Ronsard, Lafontaine, Spencer ou Heine, surpassera le second et rejoindra le troisième. Parmi les contemporains, si Victor Hugo est hors de pair,