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Rien d’amoureux ne se mêle à cette action. La première vision de l’amour s’est manifestée chez les Hébreux dans le Cantique des cantiques. Et qu’elle est imparfaite ! comme les sens y prédominent, laissant l’âme noyée et presque invisible dans un débordement d’images matérielles. N’importe ! si ce n’est pas encore le langage de la passion qui a conscience d’elle-même, c’est le premier balbutiement de la passion qui s’ignore, chargé d’ivresse et gonflé d’extase, touchant et tremblant comme tous les éveils de la puberté.

La Grèce, « ce coin privilégié du monde, cette divine feuille de mûrier jetée au milieu des mers, vit éclore pour la première fois la chrysalide de la conscience humaine dans sa naïve beauté » (d) ! Interrogeons cette terre bénie, car elle a vu aussi naître l’amour. L’Orient n’avait pratiqué que la débauche ; l’Égypte et la Judée n’avaient exercé que la polygamie tolérable, mais dégradante ; à peine la Judée avait-elle entrevu l’amour dans l’apparition fugitive de la Sulamite, et encore, à y bien regarder de près, elle n’avait vu que la volupté. La Grèce devait être plus favorisée que la Judée. Ce peuple nouveau, ayant développé davantage la vie de l’âme, ne pouvait concevoir qu’une idée plus haute de l’amour. Il ne devait pas en être autrement. On s’étonne en vain de ce privilége ; ce n’est pas le seul par où la Grèce déclare sa supériorité sur la Judée. Dans le voyage de l’humanité vers un Chanaan qu’elle atteindra, la Judée marque seulement

11) E. Renan.