Page:Des Essarts - Le Monument de Molière, 1843.djvu/5

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 5 —

Sans choisir les moyens, on court au but ; aussi
La foule des grimauds se pousse et s’évertue
Pour grandir aux dépens d’une gloire abattue ;
Ces nombreux Mirmidons, serrés étroitement,
S’efforcent d’ébranler tout noble monument :
La gloire des aïeux leur donne l’insomnie,
Et ces messieurs voudraient abolir le génie !
Voilà quelques portraits… mais ce n’est rien encore
Les mœurs de votre temps sont un riche trésor.
De mes petits Marquis l’espèce est-elle éteinte ?
Quoiqu’ils aient de mon fouet reçu plus d’une atteinte,
Ils voltigent encor de salons en salons
Sans plumes au chapeau, dentelles ni galons ;
Ils ont perdu la grâce et le nom de Dorante
Pour s’affubler d’un frac et jouer sur la rente ;
Ou, prenant des leçons chez un peuple rival,
Etablir parmi vous le culte du cheval.
J’ai fait aux Médecins une assez rude guerre ;
Daquin détestait, Guénaut ne m’aimait guère ;
Car j’avais expliqué leur jargon imposteur,
Et même déchiré leur robe de docteur ;
Mais de ces charlatans la famille féconde
Tout en changeant d’habit n’a pas quitté le monde,
Et, comme au temps passé, des docteurs obligeans,
Chacun par un système, assassinent les gens.
Honneur au dévouement ! justice à la science !
Bénissez leurs bienfaits ; mais honte à l’ignorance
Qui, du fil de vos jours à son gré se servant,
Ne l’alonge jamais et le brise souvent.
Avec le Parlement la critique est possible :
S’il est irresponsable, il n’est point infaillible.
Auprès de vos Solons placez ces Électeurs
Hier sollicités, demain solliciteurs ;
Ces Jourdains décorés, péroreurs emphatiques
Qui régentent l’état du fond de leurs boutiques ;
Puis ces Industriels aux doigts si déliés
Et dont les tours subtils sont trop vite oubliés :
Ces Traitants qu’à son gré la Fortune secoue
Et place sur son char ou jette sous sa roue ;
Montrez cette caverne où tant de gens, hélas !
Spéculent hardiment sur l’argent qu’ils n’ont pas.
Si j’ai peint ce Fâcheux dont l’étrange démence
En ports de mer voulait mettre toute la France,
N’est-il pas aujourd’hui d’autres fous qui sans peur
Livrent leur avenir aux bras de la vapeur ?
Que de rêveurs, armés de projets éphémères,
Prennent incessamment brevet pour des chimères !
Ennemi des travers que l’esprit féminin
Déployait, pour l’amour du grec et du latin,
Dans la docte assemblée où trônait Philaminte,
Aux pédans en jupons je m’attaquai sans crainte ;