Page:Des Essarts - Le Monument de Molière, 1843.djvu/4

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 4 —

« Salut à vous, enfants, poètes d’un autre âge,
À vous qui me rendez un éclatant hommage ;
Il m’est doux d’accepter ce tribut solennel,
Et je vais le payer d’un conseil paternel.
À me glorifier quand chacun s’étudie,
J’ai droit de demander si pour la Comédie
Vous avez conservé de l’encens, des autels.
Suffit-il que je sois au rang des immortels,
Si cette déité dont le souffle m’inspire
Sur de froids spectateurs a perdu son empire,
Et disparaît, semblable aux langages déchus
Qui gardent leur renom, mais qu’on ne parle plus ?
Faites de vos écrits le faisceau de ma gloire,
En marchant sur mes pas honorez ma mémoire.
Le ridicule abonde, ainsi qu’aux anciens jours ;
Le masque peut changer, l’homme reste toujours ;
On peut marquer encor, bien que le siècle en dise,
Le fer de l’ironie au front de la sottise.
De quelle gravité vous me semblez atteints !
Seriez-vous devenus de blêmes Puritains ?
Quoi ! devant les niais la Muse se retire,
Et le vice impuni ne craint plus la satire !
Bon Dieu ! de votre scène aurait-on rejeté
La piquante malice et la franche gaité ?
Ou bien manquerait-on de modèles à peindre ?
J’entends de leurs sujets tous les auteurs se plaindre.
N’est-il plus de traits neufs au fond du cœur humain ?
Mais ouvrez donc les yeux, mais étendez la main !
Je le redis encor, le ridicule abonde :
Cet éternel Protée est vieux comme le monde.
L’homme vous appartient : désarmé dès qu’il rit,
Il pardonne beaucoup en faveur de l’esprit.
Vous ne referez pas un autre Misanthrope,
C’est vrai ; mais vous avez tel et tel Philanthrope,
Moraliste au cœur sec, aux yeux mouillés de pleur,
Qui pour paraître utile invente des douleurs ;
Combine de grands mots afin qu’on les retienne,
Et met en prospectus la charité chrétienne.
Montrez ce redresseur de tous les torts d’autrui,
Libéral au dehors et despote chez lui :
Il ne compâtit point aux honnêtes misères.
Son zèle ne s’émeut qu’à l’aspect des galères.
Protecteur des bandits qui forcent vos maisons,
Il ferait en palais convertir leurs prisons.
Du reste, sa vertu veut surtout qu’on l’impunie
Et n’a jamais commis un bienfait anonyme.
Que de gens affamés de cet encens banal
Qu’on débite en détail dans un coin du journal ?
L’Annonce avec fracas les place au rang suprême…
Et plus d’un, m’a-t-on dit, la compose lui-même…
Comme l’on est absous quand on a réussi,