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VIE DE NAPOLEON Ier

Une charge exécutée sous les ordres de Murat eut bientôt déblayé le terrain.

Nous poussions des cris de joie. Notre cavalerie, toujours admirable malgré le piteux état des chevaux, serrait les Russes de près et l’infanterie suivait en bon ordre, au pas gymnastique.

En peu de temps, nous eumes gravi une petite côte d’où le regard plongeait au loin dans la campagne.

À nos pieds se tenait un nombreux corps d’armée russe, massé entre une forêt qui s’étendait au loin, et la Dwina, et protégé par une artillerie formidable. Les baïonnettes, les sabres et les lances brillaient au soleil, serrés comme des épis dans un champ de blé.

En avant !

Murat, le sabre au poing, galopait en tête et nous électrisait par son exemple.

Malheureusement l’ennemi courait plus vite que nous et au moment où nous comptions sur une bataille réglée, il disparut dans la forêt en nous souhaitant le bonsoir à coups de fusil.

Il nous fallut donc nous contenter de quelques petits combats partiels qui ne produisirent aucun effet.

Murat était furieux et s’en prenait à tout le monde ; il alla jusqu’à dire que la cavalerie n’avait pas fait son devoir.

En parlant ainsi, il se montrait injuste à notre égard et surtout à l’égard de nos chevaux. Les pauvres bêtes n’avaient plus que la peau et les os et on les entendait râler pendant la charge.

Pour ma part, j’ai reçu ce jour-là un coup de lance qui ne me fit pas grand mal. Cependant un bon bouillon m’eût fait plus de bien que cette saignée, car notre cuisinier ne nous avait offert rien de bien nourrissant pendant toute la journée.

J’ai su plus tard que le brave commandant des cuirassiers, Nansouty, fit à Murat cette belle réponse :

Nos soldats se sont battus comme des héros, mais leurs chevaux n’ont pas de patriotisme ; on ne peut les faire marcher sans foin et sans avoine.

C’était bien ainsi. Mais Murat ne connaissait pas de plus grand plaisir que de sabrer l’ennemi ; il fatiguait inutilement ses troupes en poursuivant les Cosaques dont le mot d’ordre était de nous attirer dans le cœur du pays et de nous fatiguer par des marches forcées.

C’est pendant cette journée que deux cents voltigeurs parisiens, engagés volontaires ou recrues de l’année, se distinguèrent en attaquant à la baïonnette un régiment de la garde russe appuyé par d’autres régiments. C’était plus que de la bravoure, c’était de la témérité. Et cependant bien peu de ces jeunes héros succombèrent dans cette lutte inégale.

Le vaillant Davoust, avec ses soldats d’élite, avait jeté le désordre dans l’armée ennemie, et il eût remporté de grands avantages sans le mauvais vouloir de Jérôme, le frère de l’empereur, qui, avec ses 80,000 hommes, pouvait écraser le corps de Bagration. Mais ce roi de fortune, pour ne pas obéir à un simple maréchal, refusa de quitter ses positions et finit par planter là ses soldats pour retourner en Westphalie.

Pendant la nuit, nous eumes la chance de faire un repas très-copieux sinon très-délicat. De l’eau plus ou moins claire et les cadavres des chevaux nous fournirent un bouillon, auquel il ne manquait que des