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dont on ravage les récoltes, ce qu’endurent les malheureux soldats, quand ils sont forcés de marcher ou de se battre toute la journée, de camper dans la boue, de dormir sur la terre humide… Donc, il fallut partir, mon mari à pied, comme les autres, moi dans une petite charrette, avec ma chère fille et quelques provisions… Mais, je vois venir ta tante, la supérieure, qui va me gronder…

— Je vous promets que non, dis-je avec feu.

— Ne lui dis pas que j’ai fumé !

— Je le lui dirai et je vous apporterai chaque semaine un paquet de tabac que je vous remettrai en présence de ma tante.

— Tu ferais cela, petit ! Ah ! je te promets de dire un bon chapelet pour toi !…

— Seulement, vous allez me raconter tout au long l’histoire de votre petite fille…

— Pas aujourd’hui, mon garçon… Jeudi tu auras congé ; tu m’apporteras du tabac, et je te ferai savoir comment tout s’est passé dans ce pays d’abomination.

— Vous aurez votre tabac, et même…

— Achève…

— Et même une petite bouteille d’eau de vie.

— Tu n’y perdras rien… Je te montrerai ma croix d’honneur et ma médaille de Ste. Hélène.

— Pendant que je complotais ainsi avec la bonne vieille, ma tante nous avait rejoints. Elle voulut d’abord se montrer sévère, mais je plaidai si bien la cause de ma protégée, que non-seulement elle obtint son pardon, mais la permission lui fut octroyée de brûler à l’aise le tabac que je lui porterais, à condition toutefois qu’elle ne fumerait pas devant les autres pensionnaires, « pour éviter le mauvais exemple, » ajouta la bonne supérieure.

Inutile de dire que je fus exact au rendez-vous et que je remplis fidèlement mes promesses. Je retournai souvent à l’hôpital, et chaque fois l’ex-vivandière put boire un petit coup à la mémoire de son empereur. Je profitais naturellement de mes visites pour griffonner des notes qui me viennent bien à propos aujourd’hui.