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le retour au pays

Ce qui me charmait le plus, c’était la gentillesse des enfants. Le plus jeune surtout, un gros et joli bébé de quatre ans, grimpait sur mes genoux, me tirait la barbe, me montrait son cheval de bois, ses polichinelles, son tambour, et me demandait si j’allais rester là demain, l’autre jour encore, toujours, pour jouer avec lui et l’accompagner à la promenade.

Je lui promis tout ce qu’il voulut et le petit bonhomme finit par s’endormir dans mes bras.

Quand les enfants se furent retirés et après qu’un bon souper eût réparé mes forces, le baron me dit que, dès le lendemain, il me conduirait à une retraite où je pourrais attendre le retour des beaux jours et même la conclusion de la paix.

Cela ne me souriait pas trop. Ce que je désirais le plus vivement, c’était de rejoindre l’armée, ou de retourner dans mon pays.

Alors mon hôte me dit :

— Je vois bien, mon ami, que vous n’êtes pas au courant des évènements. Pour le moment, il n’y a pas, si je puis m’exprimer ainsi, d’armée française, car bien peu de vos compagnons d’armes ont revu leur pays. Je pourrais me tromper, mais il me semble que Napoléon a fini son rôle ici-bas. Dieu l’abandonne. Ses anciens alliés, les rois de race germanique, se rangent du côté de ses ennemis. Voilà pourquoi vous commettriez une grande imprudence en continuant maintenant votre voyage. Car, en Autriche comme en Prusse, vous auriez à choisir : prendre les armes contre la France ou vous laisser jeter en prison.

Tout cela m’affligea beaucoup. J’avais cru d’abord que le baron ne parlait ainsi que pour me retenir, pour me laisser le temps de me remettre complètement de mes fatigues. Aussi m’étais-je hâté de lui dire que j’étais très fort, bien rétabli, en état de me battre bravement. Napoléon avait perdu une grande partie de son armée, mais il y avait encore en France par centaines de milliers de soldats qui ne demandaient qu’à venger leurs frères assassinés en Russie.

Mon hôte finit cependant par me faire comprendre combien il eût été imprudent de m’aventurer tout seul à travers des pays ennemis où Napoléon et ses soldats étaient plus détestés, si possible, qu’en Russie.

Je promis d’attendre.

Le lendemain, le baron me conduisit dans un magnifique jardin qui entourait le château, et s’étendait fort loin, du côté de la forét.

— Voilà, me dit-il en riant, le préau de votre prison. Vous n’y serez pas à l’étroit, j’espère.

Tout au bout, au milieu d’un admirable bosquet d’arbres et d’arbustes de toute essence, il me montra un petit chalet, véritable bijou de style rustique, coquet hermitage caché sous un dôme de verdure. C’était mon asile, mon lieu de repos avant la dernière étape.

Malgré tout, ces arrêts forcés m’affligeaient beaucoup. Le baron fit de son mieux pour me consoler. À tout prendre, j’étais mille fois plus heureux que ces pauvres soldats ensevelis sous la neige ou conduits en Sibérie. Je n’avais pas le droit de me plaindre, moi qui avais échappé comme par miracle à tant de dangers et qui pouvais attendre en paix l’heure de la délivrance.

Aussi fut-ce en toute sincérité que je remerciai mon bienfaiteur, tout en l’assurant que je prendrais mon mal en patience.

Le lendemain, j’écrivis une longue lettre, que je chargeai Ivan de re-