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IX

NOBLES CŒURS !

Une couche de neige très épaisse couvrait la terre, mais le vent du nord l’avait durcie et j’avançais sans trop de difficulté. Cependant, après avoir marché pendant quatre ou cinq heures, je fus forcé de prendre un peu de repos. Puis, après avoir fait un repas plus que frugal, je me remis en route, bien disposé à marcher ainsi jusqu’à la frontière. Mais vers minuit, ayant vu sur le bord du chemin une petite bâtisse en ruines, probablement la cabane d’un chasseur, je ne pus résister à la tentation et j’entrai sans sonner ni frapper… la porte se trouvant à terre. Un gros tas de paille me fournit un lit chaud et commode, et je dormis jusqu’au matin.

Les jours se suivent mais ne se ressemblent pas. Le lendemain, je marchai toute la journée sans rencontrer un gite, le vent était piquant, et une neige fine, tombant sans relâche, m’empêchait, malgré mon ardeur, de faire beaucoup de chemin.

Le soir venu, ni chaumière ni grange ; cependant j’étais exténué, je n’en pouvais plus.

Je mangeai ce qui me restait de provisions, et, m’étendant tout de mon long sur la neige, je cherchai à m’endormir. Quelle horrible nuit ! Tantôt les aboiements lointains d’un chien de garde ou les hennissements d’un cheval venaient me remplir d’effroi ; tantôt je me disais : "Si des loups affamés venaient m’attaquer, je n’ai rien pour me défendre."

Alors je me levai en sursaut, bien décidé à lutter contre la fatigue et le sommeil et à veiller toute la nuit. Puis l’idée me vint de monter sur un arbre, mais, là-haut, le froid était si vif, le vent mordait si cruellement, que je fus bientôt forcé de descendre. D’ailleurs, si par malheur je m’étais endormi, j’aurais pu tomber et me casser le cou.

Je m’appuyai contre le tronc glacé d’un gros sapin, et, battant la semelle, je me réchauffai de mon mieux.