Page:Deroin - Du célibat.pdf/4

Cette page a été validée par deux contributeurs.
4

une communion plus intime avec l’humanité, sont des natures d’élite, des natures de Christs à divers degrés, dont les affections, purement spirituelles, s’élèvent au-dessus des préférences et des faiblesses de l’individualité pour se faire, comme dit l’apôtre saint Paul, tous à tous. Ce sont là des êtres privilégiés, mais il faut bien entendre de quelle manière : ils ont le privilége de certaines douleurs morales inconnues au grand nombre ; ils souffrent en expiation des fautes d’autrui qu’ils s’imputent dans une certaine mesure, et, par un sentiment mystérieux, exquis, du grand principe de la solidarité qui a pénétré leur âme tout particulièrement ; leur vocation, véritablement religieuse, leur prédestination morale, les avertit que, plus que d’autres, ils ont charge d’âmes. Alors pour vivre conformément à cette destinée, à la fois si austère et si glorieuse, ils s’élèvent au-dessus, et cela sans effort, et sans orgueil, de nos vulgaires prédilections, de nos passions exclusivement personnelles, de nos attaches charnelles ; ils vivent dans une sphère à part de sentiments et d’idées, ils sont les hommes de tous. Ce sont les martyrs de tous les temps, les confesseurs de la vérité, les véritables prêtres, les seuls dignes de ce nom. Ils exercent, en effet, un sacerdoce moral, tout à fait indépendant de telle ou telle forme que peut revêtir dans l’histoire ou une école philosophique, ou un parti politique, ou un culte religieux. Ils sont les représentants de la justice, de la vérité, du progrès, trinité indivisible, qui se modifie, selon les lieux et le temps, dans le développement de l’espèce humaine, mais dont on reconnaît toujours les serviteur à la réalité de leur désintéressement et de leur abnégation ! Pour ces gens-là, le célibat est chose sacrée. Aucune personnalité ne peut revendiquer à son profit exclusif leur trésor inépuisable de tendresse et de dévouement, que Dieu a créé pour tous, comme une sorte de soleil moral. Oui, dans ce cas, le célibat est une mission suprême, et celui qui en est digne s’élève véritablement au-dessus de la nature humaine pour mieux être le serviteur de tous.

Mais du moment que nous nous éloignons de ce type de pureté et de fraternité supérieure, et que nous rentrons dans les conditions ordinaires de la vie humaine, alors le célibat nous rejette immédiatement au terme opposé du monde moral ; nous arrivons à cette idolâtrie immonde de soi-même, à ces êtres qui se font le centre de l’univers comme pour l’absorber en eux dans un effort d’égoïsme, à ces individualités qui ne savent pas, pour mieux la sauver, perdre leur