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le plus précieux, l’honneur, et ce qu’il y a de plus curieux, c’est que ce n’est jamais sous cet aspect de haute morale et de devoirs accomplis qu’elles vous charment et vous séduisent ; bien au contraire, c’est en revêtant le costume de la folie, c’est en agitant ses grelots qu’elles vous captivent et vous enchaînent. Direz-vous non ? Eh bien, pourquoi me regardez-vous ainsi ?

OCTAVE.

Madame, je dis qu’il faut beaucoup de force pour ne pas se convertir. (À part.) Elle est ravissante.

ANTOINETTE.

À l’âge où les femmes vivent dans la plus grande réserve, vous avez déjà gaspillé votre jeunesse. Chaque buisson du chemin en a emporté un lambeau. Bientôt, las de cette existence folle, et sentant le repos nécessaire, vous vous décidez, comme certains malades, à vous soumettre à un régime doux, calmant, très-calmant même, le mariage ; et, après quelque temps, lorsqu’une vie tranquille a ranimé vos forces, comme un nouveau phénix, vous renaissez de vos cendres. Les réminiscences de vos folies enflamment de nouveau votre imagination, et la seconde phase de votre jeunesse se calque sur la première ; c’est la deuxième édition d’une œuvre rarement corrigée, et presque toujours considérablement augmentée. Vous la continuez jusqu’à ce que les années vous forcent à n’avoir plus que des velléités et des regrets stériles. C’est là vraiment que nous vous possédons tout entiers, le catarrhe et les rhumatismes en plus. N’est-ce pas cela ?

OCTAVE.

Madame !

ANTOINETTE.

Allez, vous me faites pitié ; mais j’ai la générosité de ne pas vous accabler. Car vous êtes battu, complètement battu.