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parèrent la chute de la tyrannie seigneuriale, et le retour des serfs à la dignité d’hommes libres.

Certes les nobles conquirent « gloire et grand renom » aux champs lointains de la Palestine, mais ils perdirent leur puissance. Au départ, ils vendirent leurs propriétés pour avoir l’argent nécessaire aux frais du voyage ; Godefroid de Bouillon, par exemple, céda ses châteaux à l’évêque de Liège et à des prélats du voisinage. La petite noblesse surtout ne put réunir les ressources indispensables qu’en faisant argent de ses biens, et en accordant la liberté à des milliers de serfs moyennant une redevance. Partis, la plupart des seigneurs ne revirent jamais leurs foyers. Ceux qu’un hasard providentiel sauva des périls, revinrent épuisés et ruinés. Ainsi l’aristocratie fut affaiblie sous le double rapport du nombre de ses membres, et des possessions territoriales qui étaient la base de son omnipotence.

Au contraire, les classes inférieures se relevèrent. Beaucoup de serfs, nous venons de le dire, achetèrent leur liberté à prix d’argent : d’autres l’obtinrent pour avoir porté les armes en Palestine. Ceux mêmes qui restèrent dans le servage jouirent en l’absence du maître, d’une demi-liberté que le seigneur dut bien leur laisser à son retour. Il n’y avait de là qu’un pas jusqu’à la liberté complète : il fut bientôt franchi[1].

3. Prospérité matérielle. — Les croisades donnèrent un remarquable essor à l’industrie, au commerce et, par suite, à la richesse des villes. Pour cette multitude infinie d’hommes que l’Europe déversait périodiquement sur l’Asie, il fallut des vêtements et des armes ; pour les chevaux, des harnais. Ce fut le point de départ d’une activité qui ne s’arrêta plus. D’ailleurs, les croisés s’initièrent en Asie à bon nombre d’industries nouvelles, à des procédés meilleurs de fabrication ; ils en rapportèrent le travail perfectionné du verre, des glaces, des étoffes précieuses, de la soie, etc. Ils y virent pour la première fois tourner les ailes des moulins à vent.

À la suite des chevaliers, les marchands à leur tour, voyageurs pacifiques, couvrirent de leurs vaisseaux la route maritime de l’Orient ; ils nouèrent des relations

  1. La comtesse Marguerite de Constantinople supprima le servage dans ses domaines personnels en 1252. — Henri le Guerroyeur, duc de Brabant, l’avait devancée de quelques années dans cette voie glorieuse.