Page:Deprez - Petit cours d'histoire de Belgique, 1916.djvu/44

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 42 —

en était pleinement propriétaire, il le laissait à ses enfants, le tenant seulement « de Dieu et de son épée. »

Au centre de l’alleu, s’élevait l’habitation simple et rustique du maître, protégée par de fortes haies. D’un côté était la basse-cour bien pourvue d’animaux et d’oiseaux ; de l’autre, le jardin et le verger planté de pommiers. Venaient ensuite, dispersées çà et là, les misérables huttes des esclaves et des serfs auxquels était réservée la culture des terres avoisinantes.

c) Les propriétaires des alleux formaient une véritable classe noble, une aristocratie orgueilleuse et guerrière, qui aspira bientôt à une indépendance complète vis-à-vis de la royauté. Les domaines du clergé ayant obtenu des rois mérovingiens l’immunité, c’est-à-dire la défense aux officiers du roi d’y pénétrer pour lever des impôts ou rendre justice, les seigneurs à leur tout réclamèrent la même faveur pour leurs propriétés. Cette prétention fut admise et les seigneurs devinrent, dans leurs alleux de véritables petits souverains presque indépendants du roi.

3. Bénéfices ou fiefs. — Sous Charles Martel, on vit apparaître une nouvelle espèce de propriétés : ce sont les bénéfices[1]. Lorsque les Mérovingiens furent tombés dans la misérable situation que l’on sait, les domaines royaux restèrent pour ainsi dire sans maîtres ; ceux du clergé, par leur admirable culture, par leur étendue d’ailleurs, avaient excité depuis longtemps d’ardentes convoitises. Aussi, au-milieu de la confusion qui accompagna l’avènement de Charles Martel, les nobles tout-puissants se jetèrent avidement sur cette magnifique proie, et chacun en enleva ce qu’il put. Charles, qui avait précisément les nobles pour appui, ne pouvait réprimer leurs violences ; il laissa donc aux ravisseurs ce qu’ils avaient pris, mais il y mit des conditions : les nobles durent reconnaître que les terres ainsi usurpées appartenaient au souverain ; il fut convenu qu’ils en auraient la jouissance ou le bénéfice, mais qu’en retour ils promettraient fidélité au souverain, combattraient avec lui à la guerre et lui payeraient certaines redevances ; que s’ils ne remplissaient pas ces devoirs, le souverain reprendrait ses terres ; qu’elles lui retourneraient d’ailleurs à la mort du détenteur.

  1. Voir Kurth : les Origines de la civilisation moderne. — Esmein : Histoire du droit français.