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la situation déjà chancelante du Généralissime. C’est pourquoi nous décidâmes de patienter.

Notre patience n’eut pas à subir une trop longue épreuve : à la fin de mai Alexéiev quitta le Grand Quartier et peu après nous fîmes de même.

* * *


Que représentait le Grand Quartier parmi les autres facteurs militaires et politiques de la période révolutionnaire ?

Le G.Q.G. avait perdu son importance.

Le G.Q.G. de l’époque impériale tenait une place prépondérante, du moins, dans le domaine militaire. Aucun homme, aucune institution dans l’État n’avait le droit de donner des indications ou de demander des comptes au Généralissime, dont le rôle, en fait, était rempli, non pas par le tsar, mais par Alexéiev. Aucune mesure du Ministère de la Guerre concernant tant soit peu les intérêts de l’armée ne pouvait être réalisée sans la sanction du G.Q.G. C’est lui qui donnait au Ministre de la Guerre et aux organes qui en relevaient des indications impératives sur toutes les questions ayant trait à la satisfaction des besoins de l’armée. En dehors de la tendance générale de la politique intérieure, la voix du G.Q.G. avait une certaine portée et une certaine valeur dans le domaine pratique de l’administration dans la zone des armées. Un tel pouvoir, si même il n’était pas pleinement réalisé, permettait, en principe, d’assurer la défense du pays avec un large appui, à demi subordonné, de tous les autres organes de l’administration.

Avec la révolution, tout changea. Contrairement aux exemples historiques et aux prescriptions de la science militaire, le G.Q.G. devint un organe subordonné en fait au Ministre de la Guerre. Ces rapports n’étaient déterminés par aucun acte officiel ([1]) ; ils résultaient du fait que dans la personne collective du Gouvernement Provisoire se trouvaient cumulés deux pouvoirs : le pouvoir suprême et le pouvoir exécutif ; ils résultaient aussi de la combinaison de deux caractères : celui de Goutchkov, plus fort, et celui d’Alexéiev, plus conciliant. Le G.Q.G. ne pouvait désormais adresser des réclamations légales aux organes de ravitaillement du Ministère ; il leur envoyait papiers sur papiers et priait au lieu de commander. Le Ministre de la Guerre, qui signait les anciens rescrits impériaux, exerçait une grande influence sur les nominations et les révocations du commandement supérieur ; quelquefois, les nominations étaient attribuées par son ordre, d’accord avec les fronts, sans consulter le G.Q.G. Les lois militaires les plus importantes, modifiant radicalement les conditions de la formation, de la vie et

  1. D’après l’esprit du code relatif à « l’administration des armées actives », le Généralissime était subordonné au Gouvernement Provisoire, en tant que pouvoir suprême, mais non au Ministre de la Guerre.