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Autrefois, dans les conditions relativement normales et réglées de la période d’avant la révolution, cette circonstance n’avait pas de répercussion trop marquée sur les actes de l’appareil dirigeant ; mais à présent, lorsque la vie de l’armée, au lieu de marcher normalement, était entraînée par le tourbillon des événements, le G.Q.G. restait forcément en arrière.

Enfin, dans les relations entre le gouvernement et le G.Q.G., des difficultés devaient surgir nécessairement, ce dernier ayant été constamment obligé de protester contre une série de mesures gouvernementales qui détruisaient l’armée. Il n’y avait aucune autre raison sérieuse de divergence, car les questions de politique intérieure n’étaient jamais abordées ni par le général Alexéiev, ni par moi, ni par aucun service du Grand Quartier. Celui-ci demeurait apolitique dans la rigoureuse acception du mot, et, pendant les premiers mois de la révolution, le Gouvernement Provisoire eut en lui un instrument technique de toute confiance.

Le Grand Quartier ne faisait que défendre les intérêts supérieurs de l’armée et, dans la mesure où cela concernait la conduite de la guerre et l’esprit de l’armée, insistait sur la plénitude du pouvoir du Généralissime. Je dirai plus : le personnel du G.Q.G. m’a semblé trop bureaucratique, trop absorbé par ses intérêts purement professionnels et — que ce soit bon ou mauvais, — s’intéressant trop peu aux questions politiques et sociales posées par la vie.

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Lorsqu’on parle de la stratégie russe au cours de la guerre nationale, à partir d’août 1915, il convient de se rappeler que cette stratégie était l’œuvre exclusive et personnelle de M.-V. Alexéiev. C’est lui seul qui assume la responsabilité historique de sa tendance, de ses succès et de ses échecs.

Remarquablement laborieux, travailleur consciencieux et dévoué, il avait, sous ce rapport, un grand défaut : toute sa vie, il a fait le travail des autres. Il en fut ainsi lorsqu’il était Général-quartier-maître de l’état-major, chef de l’état-major de la zone de Kiev et ensuite du front du Sud-Ouest, enfin, chef de l’état-major du Généralissime. Personne n’avait aucune influence sur ses décisions stratégiques[1], et il arriva que des directives toutes faites, écrites de l’écriture fine d’Alexéiev, furent trouvées, d’une façon inattendue, sur la table du général à qui incombe, selon la loi, de grandes obligations et une grande responsabilité dans ces matières. Si ces procédés avaient une certaine raison d’être lorsque le poste de Général-quartier-maître était occupé par le général Pousto-

  1. D’aucuns attribuent une importance exagérée à la collaboration dans ce domaine, du général Borissov, attaché à la personne du général Alexéiev.